C’était une esquisse, à peine ébauchée, mais déjà, une personnalité propre semblait animer les traits charbonneux,  dans le scintillement propre aux minuscules éclats de mine de crayon collés à feuille de papier. Mais dans les mains de l’artiste, le portrait s’animait. Trait après trait, ligne après ligne, petit coup de crayon ou de gomme après l’autre, le visage devenait plus réaliste, collant au modèle qui s’essayait à rester immobile, mais dans chaque trait esquissé, on remarquait le frémissement sous-entendu, l’envie irrépressible de bouger. Faire frémir son nez, se passer la langue sur les lèvres. Sourire. Le seul mouvement que s’autorisait le modèle, c’était un clignement de paupière. Rapide. Comme pour demander « c’est bientôt fini ? ». Mais avec la patience du sage, le modèle restait immobile, malgré l’envie de bouger,  de sourire, de rire, de danser, parler, se gratter, se passer la main dans les cheveux… Patiemment, il fallait les repousser.

Le portraitiste, calmement, laissait l’Art guider sa main, n’essayant pas d’aller plus vite qu’il ne le fallait. Ce visage était LE visage. Il lui fallait en capturer l’essence, c’était comme essayer d’apprivoiser un animal timide et sauvage. Chaque coup de crayon devait viser juste. Une seule erreur, et il aurait fallu recommencer. C’était un travail de titan, qui demandait un dévouement total. L’artiste se vouait corps et âme à son travail. Des heures durant, crayon après crayon, jour après jour… Seul le dessin comptait. Ce visage qui restait imprimé sur sa rétine des heures durant, longtemps après la fin de la session de dessin. Ce visage représentait l’idéal de perfection tant recherché. Un travail de fourmi. Au millimètre près, digne d’un horloger qui doit changer une minuscule pièce d’une montre de poche.

Et puis, au fil du temps, l’esquisse enfin, semble prendre vie. Le dessin, jusque-là brouillon, ressemble alors à une photographie toute en nuance de gris. Une œuvre d’art. Les crayons sont posés sur la table, bien taillés, prêts à servir de nouveau, les doigts las du dessinateur, au repos sur ses jambes sont parcourus de petits pics douloureux, mais un coup d’œil, sur le dessin achevé, font promettre à l’artiste, de bientôt recommencer. Mais pour cela, il lui faudra trouver une nouvelle muse. Demain, dans un mois, dans un an, il lui faudra être patient, laisser ses crayons dans leur boite, jusqu’à trouver une personne acceptant de rester immobile pendant des heures, sans parler ni bouger, dans le silence d’un atelier au fond d’une remise. L’artiste sort un vieil appareil photo argentique, prend un cliché de son œuvre et souriant, remet le croquis à la muse patiente, qui après s’être longuement étirée, sourit largement au vieil homme. Elle s’était arrêtée, par hasard ou simple curiosité, devant un vieil homme et ses crayons. Son visage immortalisé sur le papier, elle repart, serrant son trésor contre son cœur, laissant un billet en échange au vieil homme, qui pourtant, n’avait rien demandé.